Poèmes I

Illustration © Sandra Aitmehdi
LE CARNET DES CHIMÈRES
Le papier a des yeux,
De grands yeux
Pour voir que les pendules nimbées
De fleurs fantomatiques ont des visages.
Le papier a des mains,
De grandes mains
Qui à elles deux forment un écrin
Où sont enfermées toutes mes larmes.
Le papier a des jambes
De longues jambes
Pour chevaucher l’oblique de l’existence
Et traverser les ruelles en feu
Où dansent les maudits.
Le papier a des dents,
De longues dents,
Les ailes d’un ange pendillent
Aux lèvres de ce voleur de reflet
Et les pendules qui ont des visages,
Les fleurs fantomatiques
T’observent en salivant,
Le papier a des dents,
De longues dents
Pour te dévorer, Ennui !
Poème © Sélène Wolfgang
Extrait de "Noir mouvant"
L'ACROBATE DE LA RIME
Lorsque la mangeuse d’idéal
Dépouille le ciel
De ses légers nuages,
Lorsque s’ouvrent les parapluies
De mes éternels regrets,
Descend, en mon cœur,
L’acrobate de la rime.
La funambule et son chat
Déambulent sur les toits.
C’est dans le pays perdu
De la nuit qu’a atterri
Cette aéronaute des rêves
Aux gants et aux bas
En noire résille.
Un collier de perles
De vers pend
À ses lèvres pareilles
À des notes de musique.
Lorsque la mangeuse d’idéal
Dépouille le ciel
De ses légers nuages,
Lorsque s’ouvrent les parapluies
De mes éternels regrets,
Descend, en mon cœur,
L’acrobate de la rime.
Poème © Sélène Wolfgang
Extrait de "La chevaucheuse de lune"

Illustration © Sandra Aitmehdi
LES QUATRE SAISONS
Elle porte un long
Manteau de givre.
Un crâne tournoie
Au bout de son doigt.
D’un fourreau d’escarboucle,
Elle a sorti le glaive.
Voici l’hiver !
Elle est la vouivre que le rat
À six queues suit,
Mais n’ayez crainte !
À minuit, la belle gorgone
Coiffée de coquillages
Et de coraux céruléens
S’endormira dans ce nymphée
Que le lierre enguirlande
Et aucun bruit ne la réveillera,
Pas même un vol de corbeaux !
Voici le printemps !
Déjà, je vois son corps
Se mouvoir parmi les campanules
Et les lys sauvages.
Elle est la tragique Sappho,
La dame des sept collines,
La savante sibylle.
À l’entrée de l’antre
Où sont cachés tous les joyaux
D’Orient, un dragon
Avale l’astre de feu,
Puis le recrache dans le firmament.
C’est alors que drapée de satin
Rouge, elle m’apparaît !
Voilà l’été !
En marchant vers le temple,
Elle murmure des prières.
Les perles d’obsidiane
Autour de son front et de son cou
Ont le scintillement des nébuleuses.
Elle est l’almée, le jour !
L’apsara, la nuit venue !
Les chants des chasseresses se mêlent
Aux chuchotements de la rivière.
Le ciel flamboie.
Sur son écorce, se promène
La langue de l’aspic.
Elle est l’héliade
Changée en peuplier !
Voilà l’automne !
Sur l’absinthe, lentement,
Se meurt l’oiseleuse
Au casque de colchiques.
Les nuages tirent
Leur révérence avant l’envolée
De la treizième fée.
Les plumes safran
Qu’elle avait emprunté
À l’oiseau-tonnerre
Dansent à présent
Dans l’air rose
Du crépuscule avec mille
Feuilles mortes.
Poème © Sélène Wolfgang
Extrait de "Ballades d'une nuit musicienne"

PENUMBRA
Je me réveillerai à l’aube de ton corps pour prendre ton cœur, puis descendrai comme un deuil sous la houle de tes draps. Dans le vieil alambic, bout l’amour, celui-là qui endort les maux ! Je veux ton sang pour élixir, mourir sous l’alchimiste caresse, sentir une dernière fois la fièvre de tes baisers et l’odyssée tiède entre tes bras.
Poème © Sélène Wolfgang
Extrait de "Cendres et porcelaine"
Illustration © Sandra Aitmehdi

Illustration © Sandra Aitmehdi
MAVKA
Par la fenêtre de sa chambre, elle regarde les passants. Elle ne reverra plus son père ni sa mère. Mavka est orpheline à présent. Elle repense à ce malheureux printemps. Elle revoit les champs de tournesols, la maisonnée en flammes. Elle se souvient de ce chant au milieu du chaos. Était-ce celui du vent ou de la rivière ?
Reverra-t-elle, un jour, ce pays où elle a grandi ? Ces primevères qu’elle aimait cueillir refleuriront-elles au milieu du néant ? Les oiseaux ne chantent plus, depuis des mois, là-bas. Éternelle est la nuit. La Grande Faucheuse a dévoré les astres. Elle a aspiré toute la lumière qui manquait à son cœur !
Par la fenêtre de sa chambre, elle regarde les passants. Le vent passe ses doigts dans la longue chevelure du soir qui cache la lune. Mavka tremble, puis tombe comme une fleur. Est-ce pour un court ou long sommeil ?
Le grisant espoir reviendra-t-il rosir ses joues ? Le ciel retrouvera-t-il ses astres ? Les primevères refleuriront-elles et les oiseaux chanteront-ils à nouveau là-bas ?
Soudain, Mavka s’éveille. Son tendre murmure s’élève, vole et berce le monde.
Poème © Sélène Wolfgang
Extrait de "Les soeurs d'Ys"

VISION
C’est après m’être recueillie sur cette tombe dont un confrère avait fait l’éloge dans une de ses épîtres que je décidai de rentrer chez moi. Le soir descendait.
Il faisait un peu froid en cette demeure où personne ne m’attendait. J’allumai quelques bougies. Ensuite, je m’assis dans ma chaise berçante et rêvassai en contemplant l’horizon. Alors que je commençais à m’assoupir, je sentis un léger souffle sur ma joue. Quand j’ouvris grand les yeux, je vis un kobold rouge assis sur mon épaule. Je n’avais pas peur de cet esprit familier que ma longue robe avait sans doute entraîné dans ses plis lorsque je m’étais promenée dans le cimetière. Cette mystérieuse créature se mit à me susurrer toutes sortes de vers et à me conter la légende des amants qui reposaient dans la tombe que j’avais découverte quelques heures auparavant. Puis, curieusement, le génie disparut. En ouvrant ce livre dont je n’avais pas encore terminé la lecture, les fragments d’un journal tombèrent sur le plancher ainsi que l’un des arcanes d’un tarot ancien.
Poème © Sélène Wolfgang
Extrait de "La chevaucheuse de lune"
Illustration © Prisca Poiraudeau