Poèmes II

 

 

Photo © Sébastien Toubeau

Je voudrais être une chanson

En ce clair instant de fortune,

Pour voler comme un papillon,

Comme le vent chassant la lune.

 

Lessia Ukraïnka

 

LE SACRE DU PRINTEMPS

 

D’après une peinture de Jane Graverol

 

La tendre hirondelle

Ferme son aile

D’ébène sur le sein

De la dame à la longue

Cape pourpre

Qui marche dans la ville muette.

 

La belle amante

De l’infini des rêves

Qui chante dans la langue

De mai l’exil des cœurs,

Cueille à sa bouche

La première fleur,

Sacre du printemps.

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "Au bord du ciel"

 

 

LA VOLEUSE AUX SABOTS DE VENT

 

J'ai volé à la nuit

Tombante une étoile.

 

Je suis la semeuse d'espoir

Dans le chaos, dans la tourmente.

 

Je suis la muse de passage.

 

De fleurs des champs

Et de leurs plus beaux sonnets,

Les poètes maudits

Ont couronné ma tête.

 

Suis-je un ange ou un démon ?

 

Quelle que soit

La saison, les oiseaux

Resteront muets,

Ils ne vous dévoileront rien !

 

J'ai volé les ors

Du soleil levant.

 

J'ai l'arc-en-ciel

Pour manteau de voyage

Et des sabots de vent.

 

Des chevaux aussi blancs

Que des flocons de neige

Tirent mon carrosse.

 

J'ai volé à la nuit

Tombante une étoile. 

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "La symphonie du papillon de nuit" (à paraître)

Photo © Marko Liver Photography

CHANSON POUR UN PIANO

 

Au fond d'un tiroir,

J'ai rangé ma plume.

Pour un autre amour,

Je l'ai délaissée et les muses,

Les filles de Lesbos,

Toutes jalousent

Mon amant secret.

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "La Muse à la lyre"

 

 

Elle lui apparut quand vint l’heure bleue. Elle était assise sur le banc des amants dans l’allée des soupirs.

Il se souvint de l'inconnue dans le Tunnel de l'Amour. Elle s’appelait Macha.

L’arbre de Vénus pleurait. Une de ses larmes rouge comme le sang tomba sur la robe de soie saphirine de la jeune fille.

Elle devint, alors, un coquelicot dont chaque pétale étiolé fut emporté par le vent. L’un d’eux s’échoua dans l’amphore de la gardienne de pierre d’un cimetière oublié.

Lorsque des lucioles et des cigales jaillirent du noir azur, la muse reprit forme humaine. Parmi les tombes moussues, elle erra longuement avant de descendre dans une crypte.

Un chat la fixait entre les vitraux fêlés de la nuit. De quel temple égyptien venait ce doux félin que je vis, tout à coup, bondir sur le dais étoilé du ciel ?


Texte © Sélène Wolfgang

Extrait de "Le fado des heures"

Photo © Marko Liver Photography

VISION

 

C’est après m’être recueillie sur cette tombe dont un confrère avait fait l’éloge dans une de ses épîtres que je décidai de rentrer chez moi. Le soir descendait.

 

Il faisait un peu froid en cette demeure où personne ne m’attendait. J’allumai quelques bougies. Ensuite, je m’assis dans ma chaise berçante et rêvassai en contemplant l’horizon. Alors que je commençais à m’assoupir, je sentis un léger souffle sur ma joue. Quand j’ouvris grand les yeux, je vis un kobold rouge assis sur mon épaule. Je n’avais pas peur de cet esprit familier que ma  longue  robe  avait  sans doute entraîné  dans  ses  plis lorsque je m’étais promenée dans le cimetière. Cette mystérieuse créature se mit à me susurrer toutes sortes de vers et à me conter la légende des amants qui reposaient dans la tombe que j’avais découverte quelques heures auparavant. Puis, curieusement, le génie disparut. En ouvrant ce livre dont je n’avais pas encore terminé la lecture, les fragments d’un journal tombèrent sur le plancher ainsi que l’un des arcanes d’un tarot ancien.

 

Texte © Sélène Wolfgang

Extrait de "La chevaucheuse de lune"

 

 À  MOITIÉ DANS UN RÊVE

 

J’étais à moitié dans un rêve quand je poussai la porte en ogive de la maison-alto. Des coquelicots longeaient les couloirs vitrés. Des parfums de lavande émanaient des murs tremblants et lézardés.

Au travers du verre fumeux du monocle des ans, je voyais défiler des ombres.

Une colombine aux cheveux bleus et hirsutes jouait de la harpe. Elle était assise en face de l’âtre. Les cendres d’un idéal calciné voltigeaient. Alors du chapeau d’un magicien, jaillit l’oiseau d’espérance.

L’allumeur de réverbères du bourg abandonné frappa, soudain, à la fenêtre, puis tous disparurent dans l’immense labyrinthe de la nuit.

 

Texte © Sélène Wolfgang

Extrait de "La maison au bord de l'océan/En comptant les étoiles"

Photo © Marko Liver Photography

PRÉLUDE

 

Qu'il est merveilleux l'éveil de la forêt !

 

Les parfums ensorcelants

Qu'exhale la terre

Montent vers l'azur,

Enlacent l'astre

De beauté qui rougeoie.

 

Comme les bourgeons des fleurs,

Les paupières de la muse s'ouvrent.

Lorsqu'elle fait corps

Avec l'acajou ou le noyer,

Les oiseaux du désir

Inondent ses chairs

De leurs mélodies nouvelles.

 

Qu'il est merveilleux l'éveil de la forêt !

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "Gitane rhapsodie/Chrysis"

 

 

MARCHE AU CLAIR DE LUNE

 

La lune honore

Le ciel nocturne.

 

Trouverai-je, ce soir,

Le papillon caché

Comme un secret

Dans le bosquet doré ?

 

L’écho mourant

Du tonnerre retentit.

 

Déjà, j’entends

Les adieux de l’été.

 

Sur la montagne solitaire,

Les centauresses contemplent

La chute des étoiles.

 

L’enchanteresse du crépuscule,

Tourbillon de feu,

Capricieuse voyageuse

Dans l’éther bleu,

Survole la rivière.

 

L’aronde du lierre,

La convoitée, chante

Des quatrains aux aconits

Qui ferment leurs corolles.

 

L’apporteuse de délices

Enjambe le cercle

Diamanté des fées.

 

Les Vanes des marées

Changeantes jouent

Avec les nymphéas roses

Et les escargots d’eau.

 

Ô laissez l’onde

Emporter mon rêve,

Que le chuchotis de l’aquatique

Forêt le berce

Sous les verts flots !

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "Gitane rhapsodie/Chrysis"

Photo © Benoît De Greift

LES NYMPTHES DE LA SEINE

 

D’après une peinture de Rachel Baes

 

Elle voulait rejoindre

Les nymphes et les ondines

Dont les robes légères

Se confondent aux blancs

Duvets des cygnes.

 

Elle s’est jetée dans la Seine,

Elle est partie sans bruit,

La fille du pont,

La fiancée des étoiles

Et quand sonne minuit,

Sur une barque fantomale,

Elle m’apparaît dans son doux

Voile d’écume.

Elle chante ses tristesses

À la lune en caressant

L’onde endormie

Dont chaque flot est un chemin

Qui mène vers son palais !

 

Elle s’est jetée dans la Seine,

Elle est partie sans bruit,

La fille du pont,

La fiancée des étoiles !

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "Au bord du ciel"

 

 

L'ÉLOGE DE LA MÉLANCOLIE

 

Elle a volé les rares

Rayons du soleil,

Elle est habillée des plus beaux

Bleus du ciel.

 

Lorsque d'un coup d'éventail,

Elle essaie en vain de balayer

Le douloureux souvenir,

Dans la lumière perse de ses yeux,

Je vois se mouvoir

Le spectre de la mélancolie.

 

Ses secrets sont dans ce livre

Perdu au fond de la mer.

Sous la houle de sa toison fauve

Aussi éclatante que la foudre,

Nage et roule

Comme le tonnerre un serpent.

Je l’ai aperçu, un soir,

Darder vers le firmament

Sa langue comme l’éclair !

 

Poème © Sélène Wolfgang

Extrait de "Gitane rhapsodie/Chrysis"